Entre janvier et juin 2016, j’ai copié le trajet qu’a effectué Antonin Artaud en 1936 et 1937. Je suis allée comme lui et dans le même ordre à Cuba, à Norogachic au Mexique et à Dublin et sur les îles Aran en Irlande. Parti les mains vides, il est entré en possession de deux objets disparus à son retour :
– une épée qu’un “sorcier nègre” lui a donnée à La Havane- une canne découverte dans les mains d’un ami, qu’il proclama « canne de Saint-Patrick », Sainte Relique de l’Irlande.

Il n’en reste aucune trace visuelle, mais nombreux sont les livres qui en parlent et se contredisent. Je n’ai jamais cherché la vérité de ce que sont devenus ces objets ni s’ils ont existé. J’ai ramassé des matériaux, fait des rencontres, habitée par la documentation consultée avant mon départ, avec l’idée de faire à mon retour des objets et des dessins personnels, mais imprégnés de l’histoire d’un autre. Il m’a semblé opportun de partir de textes décrivant des objets voués à l’imagination. Ces deux objets sont des armes.

L’HISTOIRE

J’ai procédé à l’inverse de l’anthropologue qui produit du texte à partir de l’observation des « folklores humains ». Je suis partie saturée des textes plus ou moins savants que j’avais lus pour produire des objets artistiques qui sont aussi des objets de folklore. 

Comme Artaud avait appris à tirer les tarots avec Manuel Cano de Castro qui l’avait également accompagné chez un forgeron pour ferrer sa canne avec du soufre pour en sortir des flammes de cinq mètres, je me suis intéressée à l’histoire des cartes à jouer et très vite à l’histoire de la monnaie et je me suis demandée si « payer » était un jeu. Et j’ai réalisé que oui. Par exemple il a existé en France une monnaie de cartes. D’autres monnaies dites de nécessité ont été faites avec des jetons auxquels tout à coup, comme par magie, il a suffit d’assigner une valeur. Cette valeur est validée à mesure que les croyants augmentent. J’ai donc immédiatement créé une monnaie de bronze, Pile ou Face, prompte à révéler la part de hasard et de chance propre à chacun.

VOIR LA PAGE PILE OU FACE

Les croyances se rejoignaient toutes, elles consistent tout d’abord à accorder du crédit à la parole entendue ou écrite. Si la parole est performative, puissante, convaincante, le vocabulaire devient trésor.

Je n’ai ramassé que des objets de faible ou nulle valeur pour pouvoir les charger. Les résultats que j’ai obtenus sont symboliques, comme l’ont été la canne et l’épée, et comme l’est toujours l’argent même sous forme de bitcoin.

Mes objets portent en eux une facture, issue du syncrétisme commun à tous les endroits que j’ai traversés, ils ont en commun de porter encore les traces et d’utiliser les signes du monde d’avant les conquêtes chrétiennes.

LES EXPOSITIONS

L’exposition a été montrée en 2016 dans la Galerie Susse Frères, Galerie Montpensier au Palais Royal à Paris et au Musée Estrine, Saint Rémy de Provence