Au commencement de l’univers,
il n’y avait point de suspension

PIÈCE DE THÉÂTRE, paru dans la revue TISSU, Genève. 2009

(Prof femme, debout, chignon, rideau déjà levé. Une ombre franche et inclinée divise son visage. On distingue narines et bouche), elle s’adresse au public sur le ton de la dictée :  Le soleil,…, le so-leil était, é-tait, tape-à-l’œil, ta-pa-lœil. Il n’y avait pourtant, ilni, IL N’Y

a-vait pour-tant, pasen-coreuude-jouuur, pas encore de jour. L’hiver myope, mi-ope, l’été hy-per-mé-tro-pe, hypermétrope, (elle accélère) le soleil en foutait plein la vue.

Ombre nette toujours sur le visage sous-exposé malgré une montée de lumière sur toute la scène, on comprend que la marque qui se déplace avec elle est définitive, dénonçant maquillage et décapage. L’ombre portée de son corps sur le mur du fond persiste aussi alors qu’elle fait quelques pas.

(sonnerie de récré rrriiiiiiiinnnnnnngg + scène dans le noir, éclairage stroboscopique, puis éclairage grandiose de la scène. C’est une litière à chat géante dont les rebords sont couverts de cristaux de sucre et parsemés de grands parapluies en papier cock-tail japonais. Elle est remplie de gravier, dans le fond trône une grosse et fausse bulle de savon en plastique et la reconstitution d’un arc-en-ciel véritable avec éclairage scientifique rasant sur un arrosage vertical précis. Prof poursuit quasi dans le noir :

Dieu traverse la cour de création. Une des poursuites du théâtre indique par un cercle lumineux le trajet de Dieu qui démarre au pied de l’arc-en-ciel sans trajet compréhensible. Il se rend visible pour les animaux. Apparition d’animaux sur des calendriers en hologramme. TAISEZ-VOUS. Les animaux s’éteignent doucement tandis qu’au sol de la fumée de boîte de nuit traverse les graviers, quelques éclairs ponctuels. Il marche dans la magnésie, il marche dans les vitamines, il marche dans le sirop, il marche dans le collyre, dans l’oxygène et la levure. Dieu se déplace dans les airs, dans tous les sens, par frottements. On entend un petit larsen et des flash au magnésium brûlent un à un au-dessus du sol. Dieu crisse, crisse, crisse, christ au point de percer l’oreille d’une jeune vierge qui était si belle/qui aidait si belle/qui est décibel/. Mais pas Sybille. Il est né. Prof murmure en roulant les “r” avec le ton de conteuse africaine : Une autre fois, Enée, mené par la sibylle, découvre le pays des morts, mais également ses propres descendants ! Prof reprend son ton de prof en tirant sur sa jupe en menaçant :

Dieu touche le sol en enseignant qu’il est grave de voler. Passible de poursuite. (la poursuite de la scène s’éteint)

Prof parle super fort les bras levés sur le ton d’“évidemment” : Dieu crée la gravité ! qui lui donne un fils hébreu dans un cri persan : The Son. (Prononcé à l’anglaise) La vierge entendait mal, et puis elle zozotait. Elle comprit tout de même. The Son sortit de sa bouche comme d’une paire d’enceintes : “Dès que z’ai entendu, z’ai zu”. Dieu essouflé rectifia : “J’ai su”. La vierge intimidée se tourne un doigt dans l’oreille comme pour bien capter :

– T’as zu ? Alors Z’ai zu ? Mais ! ZOZ ! —…—

La voix de Dieu lui répondait à l’intérieur. Elle eut le sentiment que ses dents étaient enracinées au centre d’une aura de bienveillance et qu’il riait. Elle abaissa les paupières lentement et murmura en douceur : “Mosquée, mosquée ou MOSCHE ? Mosche rit, mochéri.” Puis tendrement se leva pour refermer l’apôtre.

Le Son, qu’elle attendait en écoutant, serait Rhésus, et positif. Une forme indéfinie en terre de modelage fait du Hula-Hop sur un tour de potier, y a un bruit d’essorage final et un chœur style armée rouge qui chante : LE-SANG-TRIFU- GE-CIRCU-LAIT-DEPUIS-LE-SANS-TRI-PÈTE.

Voix-Off (celle de Dieu) : ton de la relecture/vérification d’une liste qui vient d’être écrite en pointant les items, on aimerait bien mais c’est un télescripteur qui joue le rôle de Dieu en diodes vertes :

Je crée le cerveau d’auroch,
je crée la jambe d’épervier,
je crée la salive et l’escargot pour la transporter,
je crée le goût de la banane,
je crée la spirale,
je crée des bottes pour marcher sur l’eau,
je crée la pâte à papier pour que mes enfants prennent des notes.

Prof sur un ton exaspéré : Mais les hommes lancent la pâte sur les murs. De vagues formes humaines en tenue de chirurgien jettent une brouette de pâte à papier qui glisse le long du mur, l’un d’entre eux fait une bombe à eau géante accroupi dans un coin.

Prof poursuit, calme car fatiguée : Dieu projette que les sapins seront des arbres à régurgiter l’eau de mer, que la mer perdra les eaux, ou les os, faut voir, puis qu’à son tour le pain sera perdu, ainsi que la peine, tout comme plusieurs balles et quelques accords. Dieu fait une pause et cherche ce qu’il serait bon de perdre encore. Il a l’idée du temps mais c’est de l’argent. Dieu râture tout ça. Il dit “Non. Les sapins seront bourrés d’aiguilles, et pour la fête de mon premier fils, les hommes devront améliorer son apparence”. Les hommes manquent d’imagination, car il n’ont pas encore la parole, mais ils savent bien recopier. Ils tirent une branche du sapin et la prolongent déraisonnablement, lui raccordant toutes celles qu’ils arrachent. Dans le souci d’étonner Dieu, l’homme change leur couleur. Les chirurgiens plongent les branches dans des poubelles à pédale qui débordent de peinture, la bombe à eau s’écrase au sol puis rebondit en se développant, de sorte que son développé, une croix de papier, s’en- vole vers le fond de scène. Enfin ils accrochent en silence les guirlandes fraîchement colorées sur le tronc pelé et puis un peu partout. Ils en mettent autour des fenêtres (des encadrements sont montés sur pieds) et dans les plis du rideau de scène, qui dès lors s’éclairent à l’intérieur des plis puis ils leur font longer des moulures de plafond sans plafond pendant que la prof retourne à son pupitre. Dieu termine son travail en imaginant que le reste de l’année les Hommes les conserveront dans des cartons. (Pluie de cartons vides dans lesquels les chirurgiens entassent les guirlandes)

Rideau (chaque fois le rideau tombe lourdement sur la scène par terre verticalement et remonte violemment). Prof poursuit : En premier lieu Dieu pose une omelette au sol et donne la parole à l’être, mais pas encore la lettre. Pendant que l’Homme ramasse l’omelette, la Femmelette le regarde faire :

– L’œuf ou la poule ? hein ! alors ? L’œuf ou la poule ? La prof rit nerveusement. D’autres Hommes arrivent, ces Hommes prennent l’omelette dans leurs mains. Ces Hommes lèvent la tête car c’est dans cette direction qu’ils s’adressent à Dieu, donc plutôt au Nord. L’un d’eux s’exclame :

– Elle réagit comme une éponge ! On peut la tremper dans l’eau ???

Dieu pouffe en sourdine à travers sa réverbération habituelle, dans leur direction, plutôt au Sud d’après ce qu’on vient de dire. Après avoir bien étouffé son intention de rire en laissant fondre les harmoniques, il dit sur un ton apaisé :
-T’as pas envie d’œuf au Mir ? La question tourne sur le télescripteur.

Rideau (toujours vertical vers le bas)

Prof poursuit (avec son ton de marraine enchantée, elle tient cette fois dans sa main un tisonnier de conférence en guise de pointeur-laser) : Dieu nomme le Pôle Sud et le Pôle Nord et distribue des aimants comme des rôles à tous les Hommes, c’est à dire à l’espèce qui comprend femmes, femmelettes, et omelettes. Dieu ne distribue pas la Majuscule à tout le monde car elle est lourde et difficile à porter. Les humains à majuscule subissent l’attraction dans un sens et les humains émajusculés qui ont bon caractère courent à l’opposé. Comme tous vont tout droit, ils se croisent mais ne se croient pas car il manque un S. La direction (Nord-.ud) décline toute re.ponsabilité.
Dieu crée l’e.pace en 3 Day. et di.tribue de. miroir. aux homme. pour qu’il fini..ent de l’agrandir. Les formes vagues déroulent des mètres de papier alumi- nium. L’Homme apprécie l’illu.ion.
A priori c’e.t un e.pace féerique qui deviendra finalement Sphérique en se raccrochant à un S de boucher.

La même prof apparaît de l’autre côté de la scène, son double, devant un lutrin au-dessus duquel un mobile d’enfant tournoie assez vite selon un grand périmètre qui la frôle, on entend une boîte à musique infantile : les deux profs en chœur : Pour l’instant rien ne change autour de la répartition des majuscules. La confusion règne absolument car les femmes se demandent si elles font partie des Hommes et s’il s’agit d’un nom commun ? En aparté, un souffleur sort la tête du sol, tourné vers le public, encadrée dans une petite cage de foot, il souffle : on croit que la majuscule ne se prononce pas. Puis il aspire quelques H. Certains affirment que c’est la lettre H qui ne se prononce pas, sauf dans la bombe et la fumette. Le souffleur sort un petit carnet épais sur lequel il tape avec une règle et poursuit : Loi fondamentale : les hommes donnent leur nom à leur fille qui le perdront pour celui d’un autre. Les profs le reprennent en playback sur des voix de nonnes lointaines enfermées dans une sacristie : Les noms se répandent selon les ramifications d’un arbre généalogique. Le genre d’arbre abstrait sur lequel un singe ne peut pas grimper. Le souffleur réintervient en appui sur ses bras, plus sorti que la première fois : Si certains hommes insèrent une particule entre leur prénom et leur nom, c’est pour se distinguer. En réalité de particule, il ne s’agit que d’une préposition. Les profs le reprennent en tapant des coups avec des marteaux de juge pendant que le souffleur redescend : De fait, les contractions “du” et “des” sont appelées “articles définis contractés”. Le souffleur réapparaît entre les deux profs : Si tu veux. Comme les virus. Comme les muscles aussi. Le souffleur tue les deux profs en les lapidant avec le gravier de la litière en expliquant son geste : Les hommes travaillent dur comme un os, les autres s’occupent de la chair, leur distinction se fait sur l’enrobage. Sur le mur du fond on voit la photo d’un curé édenté qui sourit en brandissant des chapelets de dragées suivie d’une autre photo qui fait voir un pape et des évêques disposés en demi-cercle, avec des dents en dragées et des mitres ressemblant trait pour trait à des énormes molaires. Le souffleur se met à gueuler super fort : Les dragées, non : j’en offre pas spécialement aux femmes.

Rideau (cette fois-ci il est comme aspiré vers le haut, au-dessus du plafond de la scène, on voit les techniciens du théâtre occupés. Certains sont assis sur les autres qui leur servent de chevaux. Un autre est isolé avec une grosse table de mixage et fait faire de grosses amplitudes à l’éclairage de la scène vide. Pendant ce temps défile un générique de fin écrit en phonétique et police de caractère romaine gravée façon monument historique. Il est repris par une voix de synthèse, précisément celle qu’on entend dans les bus, d’ailleurs elle commence par annoncer une station “place de la comédie française”. On entend le bus freiner et les portes s’ouvrir. Quand il redémarre, le texte est :

BIENAVANT, ASSEPOINT QUESSÉTÉ TANARRIÈRE, LARNAVÉ PADISTOIRE. ILVI VAIT DELACHASSE.
ANSETANLÀ, ONÉTÉ LOIN DEPANSÉ ÀSSOUFFLÉ POUR ÉTINDRELEUFEU. CELA IMPLIQUAIQUE LEFUSIN NESSAPPELAI MÊMPA LECH ARBON. INSI PERSONE NEJETAIT DUILE NULLEPAR. L’O NE MOUILLAIPA CARELLE NAVÉ PASENCOR DÉGELÉ.

LESSOLEIL NEPORTÉPA DENON CARS ACHALEUR NAVÉPA DECONCU- RANCE, ET QUON NELECON PARÉTARIEN. CENÉ QUEBIEN PLUTARAPRÈ LINVENTION DELÉLECTRICITÉ, QUELÉSOB JÉCÉLESTE FURAN PLOYÉ À EMBELLIR LÉPOÉSIES.

POURM ANGÉDELAVIANDE, O NANCOURAGÉ LÉPLUBO DÉSOME – QUIÉTÉ CEQUILOUCHÉ – ASSORTI RODEHOR CARIL ZÉFRAYÉÈ LÉSANIMO DE FASSONMORTELLE.
LARNAVÉ PADISTOIRE, NÉTÉPASUNISTOIRE, ÉENCORMOIN UNSUJÉ DECON VERSATION. ILNYAVÉ QUEDÉVIC TOIRÉDÉ DÉFÈTE. MÉSANDEHOR DUTANDÉFÈT, LÉSOME SOUPIRÉ. CARLA FOILÉ DIVERTISSÉPEU ÉQUELÉ PROMESSES LÉRANDÉ TINPASSIAN ÉPARFOIL ANGUISSAN.

LAP ROJECTION INCON TESTABLEMAN, LÉRANDÉ PLUR ÉSISTAN, OSINVI- TATION FUR TIVE POURCANDID ATURE SPON TANÉ.)

Pluie de marque-pages blancs jetés comme du riz par les formes vagues portant un bandeau noir sur les yeux comme des intervenants anonymes dans les films documentaires. Pendant ce temps un vieil homme portant de grosses médailles en argent style académie française vient s’installer dans un gros fauteuil en velours rouge. On sent que c’est un érudit. Il boit du thé et lit ceci en chevrotant:

OBSERVATION / sur la liberté

Les oiseaux chient en volant, les chevaux en marchant, les vaches en brou- tant, les poules en caquetant, les chèvres en dévalant, les oursins en piquant. Il y a tout à coup une ouverture supplémentaire (trappe, soupirail et judas) dans le concept de liberté. Icare ne put atteindre qu’une volonté de mimé- tisme qui l’empêchait de voir plus grand et plus large. Grand comme un plat de cassoulet pris avant l’élan, large comme une issue dans le ciel. Icare ne projetait pas son corps mais celui de l’oiseau. En l’imitant, Icare a vandalisé le vol. Les sardines chient en nageant, les anguilles en zigzagant, les otaries en jouant et les mouches chient en mangeant de la merde. Le vieux prend le temps de sourire, on sent que c’est un érudit. Nul besoin de s’accroupir ni de prendre une pose pour manœuvrer. Nul besoin d’interrompre l’activité en cours pour évacuer les matières auxquelles l’organisme renonce savamment. Le vieux change de pose et dirige ses lunettes vers le public, il dit calmement : Remarque adjacente : ces animaux ne se couchent pas sur le côté et s’endor- ment debout ou en protégeant leurs pattes.

Cette réalité n’éclabousse pas l’observateur désormais étonné que lui-même s’accorde un temps à part, cherche un espace dégagé et trouve une position adéquate pour abandonner la lie dont il se détourne avec prudence. Mais l’observateur n’a pas à s’en vouloir. Son physique étendu s’inscrit précisé- ment dans un cercle du XVIème siècle qui ne voit pas ses sphincters en bali- ser le périmètre. Les siens adhèrent exactement à l’opposé, c’est-à-dire au centre, grâce à la ventouse. Par ce raisonnement nous pourrions sous-enten- dre que la station debout (qui estampille les débuts de la supériorité de l’Homme sur la Nature) le prédisposait à quelques concessions, comme celle de repousser, de sortir ses fèces du cercle occupé par sa nouvelle posture. Projection simultanée de dessins d’un mec en train de prendre dans un cercle d’au- tres postures qui décrivent d’étonnants périmètres et de nouveaux contours géome- triques (ovale losange pentagone, polygones non remarquables…) / même chose avec plusieurs personnes / tout ça dans le style Leonardo). Vaut-il mieux s’ins- crire dans une forme de profil que de face ? L’Homme se croit émancipé parce qu’il se redresse ? Pour plus de liberté, l’Homo Universalis se poste aux fenê- tres, si la roche le permet. L’équivalent de la station debout humaine fut-elle offerte à l’oiseau AVEC le squelette et les plumes ? L’oiseau rampait-il d’abord, est-il debout ou couché quand il vole, selon qu’on penche la tête dans l’axe de son trajet ? L’Homme d’aujourd’hui sent-il dans son corps l’évolution de son espèce ? Le vieux se met à quatre pattes comme un érudit et essaie de prendre des “poignées” de litière avec ses pieds en poursuivant : Ramassait-il du gravier et collectionnait-il les minéraux du temps où ses mains faisaient quelques pas ?

Rideau (cette fois-ci qui tombe sur lui, noir total).